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Réflexions sur la musique dans “Pussy” de Colette – Elizabeth Eva Leach


En novembre 2022, mon groupe de lecture a lu la nouvelle de Colette, La Chattetraduit (par Antonia White) comme Le chat (les citations et les numéros de page proviennent de la réédition du livre de poche Vintage, Londres 2001). Cette publication de 1933 est une histoire plutôt torride d’Alain, un garçon à maman de 24 ans, descendant d’une famille de marchands de soie plutôt chic mais en déclin, épousant Camille, la fille de 19 ans de la classe inférieure des propriétaires d’un mangle- faire empire. La complication est qu’Alain est en fait amoureux de sa chatte, Saha, que (alerte spoiler !) Camille fait accidentellement exprès faire tomber le parapet de l’appartement conjugal du dernier étage quand Alain est sorti. Le chat survit et, dans une partie faible de l’intrigue, Camille est grondé par des empreintes de pattes moites (qui se seraient sûrement évaporées compte tenu de la chaleur du jour au moment où Alain les voit). Alain se ramène avec Saha chez sa mère et Camille est contente car elle récupère la voiture, préférant les machines aux créatures.

Tout d’abord, le titre de ce livre devrait être Chatte. Ceci est important car, comme l’a découvert le groupe de livres, ce n’est qu’en s’y référant continuellement de cette manière que la nuance sexuelle constante et légèrement coquine-comique ressort en anglais. Le français pour une chatte a à peu près la même résonance que le mot anglais ‘Pussy’ dans la mesure où les deux sont utilisés pour les organes génitaux féminins humains (je ne pense pas que le français ait aussi la possibilité d’impliquer un homme non viril, mais j’attends correction sur ce point, car cela conviendrait également ici). Ainsi, le livre présente deux types de chatte différents : d’une part la disponibilité sexuelle de Camille en tant qu’épouse (et elle est décrite en termes très sensuels et comme positivement appréciant pas mal de sexe après leur mariage) ; et, de l’autre, une vraie chatte. Alain veut les deux, mais lorsqu’il est forcé de choisir, il évite l’option sexuelle adulte (et son appartement de couple penthouse aéré, sans jardin) et repulpe pour l’enfantillage de son chat (dans sa maison parentale, située dans un parc luxuriant). Toutes ses interactions avec la voiture sont sensuelles et agréables : dans ‘leur chambre’ (p.69) :

« Dès qu’il a éteint la lumière, le chat a commencé à piétiner délicatement la poitrine de son amie. Chaque fois qu’elle appuyait sur ses pieds, une seule griffe perçait la soie du pyjama, accrochant la peau juste assez pour qu’Alain ressente un plaisir mal à l’aise » (p.70).

En revanche, le sexe avec sa femme provoque la misogynie et la rage meurtrière :

‘Il l’a maîtrisée comme il aurait pu mettre une main sur sa bouche pour l’empêcher de crier ou comme il aurait pu l’assassiner’ (p.111).

Sa préférence pour un enfantillage pré-sexuel (ou, si l’on veut comme Freud supposer qu’il n’y a pas de pré-sexuel, la sexualité sublimée de l’Œdipe) est soulignée par divers autres traits à peine déguisés, et notamment par le fait qu’il finit par prendre lui-même et le chat retournent à la maison de sa mère (comme s’il redevenait un enfant) avec son espace utérin du jardin sombre, humide et fécond dans lequel prospère sa chatte préférée.

Diverses dichotomies imprègnent le roman pour caractériser les deux chattes. Saha est pure nature, aimant le jardin, la chasse, la terre. Bien qu’elle apprécie parfois la description et la nudité animales, Camille est très du côté du mécanisme et de l’artifice, aimant le Roadster, la conduite rapide et l’appartement en forme d’aigle qui est sa maison conjugale. Il y a une classe sous-jacente ici avec les Aparat (la famille d’Alain) issus du milieu d’avant-guerre des gens qui peuvent s’offrir une maison de jardin dans le centre de Paris, ce que le couple note ne sera plus possible très longtemps. Il est difficile de ne pas voir l’entreprise de mutilation des Malmert (la famille de Camille) et représenter une pression moderne littéralement mécanisée sur le tissu même de la société représenté par les riches soies que fabriquent les Aparat.

Lorsque nous avons ces dichotomies, cependant, en particulier celle entre la nature et l’art dans laquelle les humains sont assis de manière très désordonnée, il est généralement vrai que la musique peut fournir une couche supplémentaire de complexité et/ou de commentaire. Et donc c’est ici. Bien que la musique ne soit pas une présence majeure dans le roman, certains sons clés imprègnent le livre et il y a un passage central dans lequel la musique – notamment les sons acousmatiques du jazz et la performance actuelle de la voix chantée de Camille – a un rôle de premier plan dans le récit ( pp.134-140). C’est la section après qu’Alain a trouvé la chatte blessée et l’a ramenée dans l’appartement de sa femme, l’a soignée et a congédié le domestique. Cette scène intervient entre le sauvetage du chat par Alain et sa suspicion (basée sur la preuve d’empreintes de pattes moites, invraisemblablement encore visibles sur la pierre chaude du parapet, montrant la peur du chat, et la réaction vocale de la chatte à Camille) que la chatte a été poussée et la conversation dans laquelle Alain extrait cet aveu (p.140).

Debout devant la baie vitrée ouverte (p.134), Alain ressent en lui un tremblement qui est « comme le trémolo d’un orchestre, sourd et inquiétant » (pp.134-5). Le couple regarde des feux d’artifice lors d’un gala dans le parc d’attractions de la Folie-Saint-James et entend quelque chose qu’ils pensent d’abord être des guitares mais Camille s’identifie à des mandolines, alors qu’elle chante et demande à Alain d’écouter. « Sa voix a craqué sur la note la plus aiguë et elle a toussé pour excuser son échec » (p.135). Cela étonne Alain qui a été frappé par sa voix “grande et ouverte comme ses yeux” qui ressemble maintenant à celle d’une “petite fille”. Enroué aussi’ (p.135).

Carte de 1788 de la partie nord du jardin de la Folie-Saint-James https://en.wikipedia.org/wiki/Folie_Saint_James#/media/File:Folie_Saint_James.jpg

La voix de Camille a été remarquée au début du texte comme criarde, saluée dans un compliment en revers par les domestiques de la maison d’Alain: «Quelle belle voix elle a. Quand elle parle fort, les voisins peuvent entendre chaque mot » (p.94). Qu’il se brise de cette manière est révélateur, mais quoi est-ce révélateur. D’abord, cela lui dit son manque de confiance car elle sait qu’elle a failli lui tuer la chatte (c’est en fait elle qui a la rage vraiment meurtrière du sexe, malgré son articulation). Et deuxièmement, cela nous dit quelle sorte d ‘«animal» humain elle est. Il y a plusieurs choses à remarquer à propos de la musique qu’elle entend. D’abord, c’est une musique de danse, et donc destinée à animer les corps ; deuxièmement, il est présenté de manière acousmatique (ils peuvent l’entendre mais pas le voir) ; troisièmement, il est assourdi par le vent en un ‘vague bourdonnement strident’ (p.136), donc indistinct. Finalement, Camille identifie l’air comme L’amour dans la nuit, l’appelle ‘jazz’ et le fredonne ‘d’une voix aiguë tremblante presque inaudible, comme si elle venait juste de pleurer. Cette nouvelle voix augmenta singulièrement l’inquiétude d’Alain. Alain lui dit de ‘Continuer à chanter’, et elle demande ‘Chanter quoi ?’ à quoi il répond ‘L’amour dans la nuit ou quoi que ce soit d’autre. Peu importe quoi’. Elle hésite puis refuse en disant « Laisse-moi écouter le jazz… même d’ici, tu entends c’est tout simplement merveilleux » (p.136).

Ce qui reste intéressant dans cette nouvelle, c’est là où nous sommes censés placer nos sympathies, compte tenu de la présentation de Camille et Alain. Alain est un garçon à maman minable et puéril amoureux de sa chatte ; Camille est une grande amatrice de voitures et de nudité qui tente de tuer la chatte d’Alain en chantant à voix basse, au rythme de sa chanson, “mais sa voix lui a manqué” (p.128). Encore une fois, la chanson de Camille est indistincte, vocalement défectueuse et bonne uniquement pour le mouvement corporel.

La présentation des deux n’est ni soignée ni stéréotypée, mais le chant présente une Camille différente, dépouillée de sa voix de femme adulte forte, réduite à une fille à la voix minuscule, indistincte, rauque et tremblante. Le craquement sur la note aiguë contrastait avec la pénétration sonore à la fois de la musique instrumentale artificielle de la musique de danse de la mandoline (le ‘jazz’) et des voix claires des animaux comme le cri d’avertissement de la chatte que seul Alain comprend (pp.67-68 ) ou les quatre notes du sifflet du merle « qui résonnait dans tout le jardin » (p.145) au retour d’Alain. La plupart des autres bruits sont forts, distincts et communiquent quelque chose, même la « musique » mécanique des « tramways lointains » (p.146) ou les « bruits métalliques, ces bruits comme ceux d’un bateau qui grince à l’ancre, ces éclats de musique étouffés, qui font écho à la vie discordante d’un immeuble neuf » (p.129). L’échec sonore de Camille en tant que chanteuse (contrairement à son volume sonore en tant qu’enceinte) la prive précisément de toute musicalité, trait sans doute préfiguré lorsqu’elle pense qu’Alain va assimiler son apparence à celle de la chanteuse Marie Dubas (p.110) mais il dit plutôt qu’elle est comme les héroïnes en pleurs sur la couverture des chansons romantiques de Loïsa Puget (un compositeur que le traducteur suppose à tort être un homme !). Elle n’est pas comme une chanteuse professionnelle, mais comme une illustration en pleurs pour une partition. Ses tentatives de sons musicaux la minent.