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Ce n’est pas britannique mais… La musique d’Erwin Schulhoff


Toutes les œuvres de ce CD sont nouvelles pour moi. Je suis reconnaissante aux remarquables notes de présentation préparées par Rebecca Stewart pour son aide à la préparation de cet examen.

Erwin Schulhoff en quelques mots. Il est né à Prague le 8 juin 1894. Après les encouragements d’Antonín Dvořák, il entre au Conservatoire à seulement dix ans. Des études complémentaires à Vienne, Leipzig et Cologne ont suivi. Ses professeurs comprenaient Claude Debussy et Max Reger. Après un service militaire dans l’armée autrichienne pendant la Première Guerre mondiale et un passage dans un camp de prisonniers de guerre, il retourne en Allemagne où il devient membre de l’avant-garde. Il a été influencé par le jazz, la musique populaire, la deuxième école viennoise et le mouvement dadaïste. En 1923, il retourne à Prague pour composer et jouer et plus tard enseigner au Conservatoire. En plus d’être juif, Schulhoff a été communiste toute sa vie et a été inévitablement persécuté par les nazis. Enfin, il a demandé et obtenu la citoyenneté soviétique, mais a été emprisonné au camp de concentration de Wülzburg en Bavière avant de pouvoir partir. Il y mourut de tuberculose le 18 août 1942.

Erwin Schulhoff a écrit beaucoup de musique, dont huit symphonies (7 et 8 sont inachevées), des partitions de ballet, deux concertos pour piano, l’opéra Les flammes ainsi que des œuvres pour piano et de chambre. Ses dernières compositions ont été guidées par le réalisme socialiste et ont porté sur des sujets tels que la guerre civile espagnole, les émeutes de la faim dans l’ancienne Tchécoslovaquie et les prouesses de l’Armée rouge.

Je n’hésite pas à admettre que j’ai été époustouflé par le Concerto pour piano et petit orchestre, op.43 (1923). Les notes de la pochette résument son impact global : elles “regroupent une abondance de styles et d’ambiances très variés en l’espace d’environ vingt et une minutes”. Pourtant, l’effet n’est pas celui d’un chapelet de perles de différentes tailles. C’est un travail unifié qui a de l’intégrité et une structure formelle stricte. Dans chacun des trois mouvements, il explore le romantisme avec une touche d’impressionnisme, ainsi que des clins d’œil au modernisme et au jazz. Ce dernier est particulièrement proéminent dans l’Allegro alla jazz finale. Ici, Schulhoff fait appel à une section de percussions de dix-huit pièces qui comprend un hochet de rouage, une cloche de vache, des cloches de traîneau, des castagnettes, un tambourin et une sirène. La musique foxtrot et romani mène vers une conclusion tumultueuse, pas avant une section sostenuto magique. Fait intéressant, ce concerto fut joué à Londres le 2 janvier 1928, sous la direction d’Ernest Ansermet, avec le compositeur comme soliste. Je dois enquêter.

Le Cinq pièces pour quatuor à cordes peut être interprété comme une « suite de danse » qui fait un clin d’œil aux modèles baroques. Cependant, la réalité est, comme le suggèrent les notes de la pochette, qu’il s’agit d’une «déconstruction» de son incarnation. Le premier mouvement est intitulé Alla valse Viennois, combinant des mots français et italiens. Il est noté en temps commun, mais Schulhoff a déclaré qu’il doit être joué comme s’il s’agissait de 3/4. C’est délicieusement déroutant, mêlant des éléments de Ländler et de Walzer. Le Alla serenata est d’humeur menaçante, avec divers effets d’archet à cordes qui ajoutent à l’appréhension. Cela n’a rien à voir avec la sérénade de l’imagination populaire. Le troisième mouvement est Alla czeca. Ici, Schulhoff semble encore une fois brouiller (volontairement !) les rythmes de danse. Est-ce vraiment une Polka ? Le Alla tango milonga (rythme plus rapide, moins de pauses, marche rythmée, qu’un tango de base) est triste et parfois sensuelle. La danse finale est un déchirement Tarentelle, ce qui devrait certainement faire tomber la baraque. Le
Cinq pièces ont été composées en décembre 1923 et dédiées à Darius Milhaud. Il est joué ici avec une habileté et un enthousiasme remarquables. Assurément, une œuvre de cette vitalité devrait figurer dans le répertoire standard de tous les ensembles de quatuors à cordes.

Les notes de la pochette ne mentionnent pas que le Suite pour piano, la main gauche est le troisième exemple d’une suite pour piano. Il a été écrit en 1926. Le jazz est ici une ressource. La modalité prévaut, surtout dans l’ouverture Préludio
qui est lumineux et fluide. N’ayant pas vu la partition, je prends pour acquis qu’il n’y a qu’un seul accident pour troubler le flux du poignant Air. Le Zingara, (traduit par Romani féminin italien) pourrait avoir émergé de l’une des collections de chansons folkloriques de Bartok. C’est une danse “effrontée” qui se caractérise par des secondes majeures mordantes, des quintes nues et des croches rapides. Le Improvisation
est remarquable : le temps semble s’être arrêté dans cette belle contemplation. J’aime la description donnée de la Final – “C’est comme une salle de danse qui prend vie.” Utilisant plusieurs «voix», il se transforme rapidement en une gambade avec des coups de pied lourds et une audace rythmique. L’auditeur reste émerveillé par le génie technique du soliste capable de jouer ce Suite avec sa seule main gauche. D’une durée de près de 19 minutes, il est trop long pour un rappel, mais mérite certainement sa place dans la salle de récital.

La Sonate pour violon n° 2 a été achevée en 1927. A cette époque, Schulhoff était souvent influencé par le jazz. Pourtant, ce sont Bartok et Berg qui sont les modèles évidents ici. Les notes de pochette donnent une analyse détaillée de cette Sonate : autant dire que les quatre mouvements contrastés explorent un large éventail d’expressions. Des éléments de danse folklorique apparaissent dans l’ouverture Allegro impétueux et dans le caprice Burlesque. Le deuxième mouvement Andante est élégiaque et fait un clin d’œil à Alban Berg. La finale, Allegro rissolu est une sorte de résumé de la Sonate, avec plusieurs références croisées au matériel précédent. La performance ici d’Adam Millstein et Dominic Cheli souligne la nature virtuose et brillante de la pièce. Il y a une histoire selon laquelle la première Sonate pour violon seul de Schulhoff a été critiquée par Alois Hába pour ne pas exploiter les capacités du violon. C’est certainement une leçon bien apprise avec le présent travail.

Le numéro final sur ce CD est Susi (1937). Cette courte pièce pour piano « bar à cocktails » est un pur délice. Il semblerait qu’il s’agisse d’une transcription d’une chanson. Écrit à l’époque où Schulhoff explorait le « réalisme socialiste » et mettait en œuvre les diktats de l’idéologie marxiste, il est assurément « décadent ». Mais il faut se rappeler qu’à cette époque, il gagnait aussi de l’argent en tant que «moitié d’un duo de pianos». Susi
est plein de nostalgie et, peut-être, de regret.

J’ai noté les performances superbes de toute cette musique. Les notes de pochette sont exceptionnelles et comprennent des informations biographiques, des analyses et des détails sur les interprètes. L’enregistrement lui-même reflète la vivacité de ce répertoire.

Ce CD constitue une excellente introduction à la réalisation d’un compositeur injustement moins connu – même si ces dernières années, sa musique fait un retour en force, du moins sur disque. Le CD vaut le prix pour l’étonnante interprétation du Concerto pour piano et petit orchestre, op.43 seul. Tout le reste est un merveilleux bonus. J’ai besoin d’entendre plus de musique d’Erwin Schulhoff.

Liste des pistes :
Erwin Schulhof (1894-1942)

Concerto pour piano et petit orchestre, op.43 (1923)
Dominic Cheli (piano), RVC Ensemble/James Conlon
Cinq pièces pour quatuor à cordes (1923)
Gallia Kastner (violon), Adam Millstein (violon), Cara Pogossian (alto), Ben Solomonow (violoncelle)
Suite pour piano, main gauche (1926)
Dominic Cheli (piano),
Sonate pour violon n°2 (1927)
Adam Millstein (violon), Dominic Cheli (piano)
Susi pour piano seul (1937)
Dominic Cheli (piano)
rec. 6-8 mai 2021, Olive Rehearsal Hall, Colburn School, Los Angeles (Concerto); 14 décembre 2020, (Quatuor), 5-6 décembre 2020 (Suite), 19 mars 2021, Zipper Hall, Colburn School, Los Angeles (Suite).
DELOS DE3566