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Carmen à Marseille – Opera Today


Une production éprouvée d’un réel intérêt, magnifiquement menée avec une excellente distribution en ce moment à l’Opéra de Marseille.

Cette production de Jean-Louis Grinda est née à l’Opéra de Toulouse en 2018, la Carmen était Clémentine Margaine, Jose était l’Américain Charles Castronovo. La production devait déménager à Marseille au printemps 2020 avec le mezzo géorgien Ketevan Kemoklidze et Jean-François Borras mais la peste est intervenue. Sans vergogne, il a cependant trouvé son chemin à Monaco plus tard cette même année noire avec Aude Extrémo et M. Borras sur scène. Sans masque.

Voilà, hiver 2023, il est enfin arrivé, sans masque, au grand vieil opéra de Marseille (le péristyle [the columned classical porch] est de 1787 bien que le reste soit du début du XXe siècle). Le théâtre bénéficie d’une acoustique magnifique – les voix naviguent à travers la fosse d’où les pianos et les fortes surgissent dans une clarté immaculée. Je le mentionne car ce Marseille actuel Carmen édition compte en fait une distribution entièrement francophone, ainsi les paroles du célèbre livret ont été si clairement formées et entendues que l’opéra est devenu — presque — une pièce de théâtre !

Et c’était certainement l’intention de la production de Grinda, chaque détail du livret était articulé par une action sur scène. Une profondeur inattendue de la partition de Bizet s’est ainsi révélée dans ses innombrables détails, l’utilisation du rythme et de la couleur par le compositeur – si célèbre exploitée dans les airs de Carmen – judicieusement articulée par le chef d’orchestre Victorien Vanoosten à chaque instant vers le dénouement brutal et fatal de l’opéra.

Grinda a mis en scène l’ouverture. C’était un flashback du meurtre, le thème du destin retentissait, Jose fut alors arrêté par un soldat qui sembla offrir un moment de réconfort et de condoléances (on l’entend dans la musique !) avant de le jeter au sol.

Héloise Mas comme Carmen, Amadi Lagha comme José

La boîte de scène était composée de murs en briques avec d’énormes portes d’entrepôt à l’arrière et sur les côtés, il y avait deux petits murs roulants incurvés sur le sol de la scène (peut-être des cornes de taureau abstraites) qui une vue des machinistes se sont déplacés pour isoler des moments scéniques (le meurtre par exemple) ou pour révéler les immenses espaces publics de l’opéra. Ces murs ont fait une longue danse solo (pas de son provenant de la fosse) pour ouvrir l’acte final, le bruit de la foule de la corrida retentissant de l’intérieur des murs, la vengeance du réalisateur Grinda sûrement pour la belle pastorale de flûte de Bizet qui ouvre l’acte précédent, bien que mise en scène avec d’énormes caisses descendant gracieusement du fly loft dans l’entrepôt.

De manière significative, Grinda ajoute à sa mise en scène une danseuse de flamenco solo qui se retrouve dans chacun des quatre actes. Elle est effrontée et dangereuse, ses bras et sa tête bougeant brusquement, ses castagnettes claquantes et ses talons frappants menacent bruyamment. C’est Carmen, la misogyne femme fatale. L’intention de Grinda est sûrement de libérer sa vraie Carmen de ce fardeau, lui permettant d’être très jeune et très humaine, d’être capricieuse avec son amour, de craindre la mort et de la défier à contrecœur jusqu’à son dernier souffle (c’est dans le musique!).

C’était la Carmen de l’édition marseillaise, Héloise Mas. Mlle. Mas a déjà joué à l’Opéra de Marseille dans le rôle de Boulotte dans Offenbach Barbe-Bleueet comme Péricole dans Offenbach La Péricole, des rôles très éloignés de Carmen, l’héroïne la plus notoirement difficile de l’opéra. Mlle. Mas a apporté tout le charme de ces délicieuses ingénues d’opérette à sa Carmen, trouvant ainsi une sexualité plus innocente qu’ouvertement provocante. La réalisatrice Grinda a mis en scène le trio de cartes du troisième acte sous la forme d’un duo animé Frasquita / Mercedes d’un côté de la scène, Carmen seule, au fond de la scène de l’autre côté, isolée alors qu’elle dévoilait son destin tragique. Mlle. Mas a trouvé une obscurité d’esprit et de voix pour cela qui contrastait étonnamment avec ses deux premiers actes brillamment et amplement entonnés lorsque nous en sommes venus à sentir que son amour pour Jose était sincère et sérieux.

José a été chanté par le ténor franco-tunisien Amadi Lagha qui possède une voix au vrai caractère méditerranéen. C’est proprement lyrique mais tout à fait capable des explosions passionnées qui dépeignent et définissent ce simple jeune soldat paysan. La réalisatrice Grinda a motivé le magnifique deuxième acte de Jose Flower Song avec Jose, dans un moment de rage, étranglant Carmen. Il lui offre alors cette confession contrite et émouvante, doucement et simplement chantée. Il l’a de nouveau étranglée au troisième acte, avant d’accomplir sa mort par strangulation dans son élan brutal et final, puis a poussé ses derniers cris d’angoisse.

Micaëla a été chantée par Alexandra Marcellier, de petite taille mais dotée d’une voix riche qui a fait d’elle une Butterfly à d’autres moments. Apporter les traits vocaux de ce qui va bientôt devenir vérisme en Italie, elle a dépeint une jeune paysanne simple dans des termes très émouvants – son “Je dis” était une prière angoissée qui nous déchirait le cœur. Escamillo a été chanté par le baryton franco-canadien Jean-François Lapointe. C’était un toréador fort à la voix lyrique, un symbole de la force et de la stature masculines plutôt qu’une tentative de créer l’éclat et la bravade théâtrale d’un torero.

Jean-François Lapoint comme Escamillo

Jean-François Lapointe

Les seconds rôles ont été confiés à des artistes accomplis, notamment les gitans Frasquita (Charlotte Despaux), Mercedes (Marie Kalinine), Remendado (Marc Larcher) et Dancaïro (Olivier Grand), chacun projetant un personnage mûr, individuel et bien réel, soulignant une fois de plus l’importance de ces personnages pour imposer les atmosphères exotiques nécessaires pour colorer les deuxième et troisième actes. La réalisatrice Grinda a mis en scène le tristement difficile quintette du deuxième acte (avec Carmen) avec une chorégraphie bien plus que d’habitude, définissant soigneusement la pièce musicalement et dramatiquement. [See lead photo, left to right Mercedes, Frasquita, Carmen, Dancaīro, Remendato, hovering behind is Lilas Pastia.]

Les Morales (Jean-Gabriel Saint-Martin) s’imposent dès le premier acte comme une figure imposante vocalement instaurant ainsi le haut niveau vocal qui prévaut tout au long de la soirée. Le Zuniga ( Gilen Goicoechea ) a été soigneusement délimité comme une figure qui attendait mais n’imposait pas la déférence. Il a ensuite été sommairement défié, et non blessé ou tué, par José. Le rôle non chantant Lilas Pastia (Frank Thézan) était bien présent, mais n’intervenait que dans la brève scène dialoguée du début du deuxième acte — la seule référence à Carmenson origine en tant que opéra-comique

Le chef d’orchestre Vanoosten a respecté la mise en scène soignée et détaillée du réalisateur Grinda avec des tempos qui permettaient aux mots d’être clairement articulés tout en étant énoncés musicalement. Son rythme des scènes de chœur prolongées était magistral, les structures musicales de ces scènes laissées absolument apparentes, la tension maintenue par le rythme plus large de l’acte entier.

Il y avait une synergie incroyable entre la fosse et la scène.

Jean-Louis Grinda et son collaborateur de longue date, le designer Rudy Sabounghi, ont créé une mise en scène débordante d’excellentes idées et de solutions réussies aux nombreux défis de l’opéra. La cerise sur le gâteau était la réaction excitée de la foule qui se pressait sur scène pour le quadrille des toreros (la procession dans l’arène des matadors). C’était un vrai passeillo dans une véritable arène quelque part qui était projetée, massivement, sur le mur du fond de la loge de scène.

En fin de compte, cette excellente mise en scène était une somme indisciplinée de ses parties. Il n’a pas retrouvé le raffinement et l’élégance d’une production finie.

Michel Milenski

Opéra de Marseille, France, 21 février 2023